viernes, 14 de marzo de 2014


Bonne gouvernance et performance économique


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Kemal Dervis

BERLIN – Le débat sur les perspectives de croissance des pays émergents bat actuellement son plein. Les pessimistes soulignent leur crainte d'une inversion des flux de capitaux privés, en raison de la baisse des achats d'actifs à long terme de la Réserve fédérale américaine, ainsi que des difficultés des deuxième et troisième générations de réformes structurelles et des limites de la « croissance de rattrapage » hors du secteur de l'industrie. Les optimistes affirment que le potentiel de croissance rapide reste immense, en raison de meilleurs fondamentaux macroéconomiques et de la promesse de meilleures pratiques technologiques qui se diffusent dans les pays émergents.
Qui a raison ?
Les événements récents montrent une fois de plus l'importance d'une bonne gouvernance et de systèmes politiques prompts à réagir, un thème familier dans les études sur la croissance économique à long terme. Les pays qui ont paru prospères pendant une longue période, comme la Turquie ou la Thaïlande, semblent tout à coup confrontés à des obstacles liés à la gouvernance et à leur capacité à établir des compromis politiques internes. La division et le dysfonctionnement qui en résultent sont certainement de plus lourdes menaces que la baisse de la Fed.
C'est la nature de la gouvernance qui détermine si les gens sont prêts à déployer leurs talents et leur énergie dans la poursuite de l'innovation, de la production et de la création d'emplois, ou bien dans la recherche de rentes et dans le lobbying pour la protection politique. Ici le contraste entre l'Egypte et la Tunisie peut être vu comme une leçon qui montre la différence entre une réussite et un échec.
En Egypte, l'ancien régime de Hosni Moubarak, qui a échoué à se démocratiser, s'est effondré face à des manifestations énormes. Des élections pluralistes au faible taux de participation ont donné la majorité aux Frères musulmans, qui sont arrivés seuls au pouvoir et ont tout fait pour ignorer la bonne gouvernance et pour aliéner toute la population, en dehors de leurs partisans les plus fervents.
L'approche de la gouvernance par les Frères musulmans explique aussi le chaos dans lequel s'est retrouvée l'économie. Au lieu d'essayer de construire des institutions de réglementation neutres et  compétentes, tous les postes ont été saisis par des partisans politiques. Malheureusement l'intervention militaire en juillet dernier a donné lieu à un autre régime qui semble incapable de construire des institutions durables qui puissent favoriser la réconciliation politique et offrir une croissance inclusive.
La Tunisie nous donne l'exemple d'une situation inverse : un véritable compromis constitutionnel soutenu par une majorité écrasante (traduite dans un vote de 200 voix contre 16 à l'Assemblée nationale constituante). Si ce compromis se maintient, la stabilité va s'installer, les marchés vont fonctionner, la Tunisie va attirer les investisseurs et le tourisme va à nouveau se développer.
La différence essentielle entre ces deux cas est une vision de la gouvernance qui rend un tel compromis possible. Une telle vision présuppose de se prémunir contre un système où le vainqueur rafle toute la mise, assortie d'un large consensus suivant lequel les institutions réglementaires doivent être raisonnablement neutres et dotées de professionnels compétents.
Le succès durable de la Chine est parfois donné comme un contre-exemple quant à l'importance d'une bonne gouvernance pour la performance économique. L'exemple chinois remet sérieusement en cause la forte corrélation entre démocratie multipartite et croissance économique.
La démocratie est bien sûr quelque chose de précieux en soi et que l'on peut désirerindépendamment de ses effetssur la croissance économique. Mais dans le contexte de la performance économique, il est important de souligner qu'il existe une énorme différence entre les régimes dictatoriaux, où une seule personne monopolise tous les pouvoirs (comme Moubarak ou comme le Président syrien Bachar el-Assad), et la Chine où il existe une compétition et une contestabilité au sein du vaste Parti communiste. C'est bien le Parti, qui fonctionne comme une institution suffisamment inclusive et méritocratique, non pas comme un leader autocratique, qui a gouverné dans la période post-Mao.
L'absence de réglementation raisonnablement indépendante et d'une administration publique compétente (ou pire encore, les dictatures d'une seule personne) conduisent inexorablement au gaspillage économique, à l'inefficacité et finalement à l'agitation politique. Cela est vrai même dans le cas du Venezuela, où le fort chiffre d'affaires des compagnies pétrolières a masqué pendant un certain temps une faiblesse sous-jacente. Dans l'économie mondiale complexe du XXIème siècle, une bonne performance économique durable a besoin d'une gamme d'institutions fonctionnelles et qui ne relèvent pas de la compétence d'un seul chef.
Par exemple, les économies prospères ont besoin d'une banque centrale raisonnablement indépendante, ainsi que d'une supervision bancaire compétente non compromise dans les questions de politique à court terme. Elles ont aussi besoin d'organismes de réglementation dans des secteurs comme les télécommunications et l'énergie, aptes à poursuivre des mesures conformes à des objectifs généraux établis dans le cadre d'un processus politique, mais avec des personnes nommées choisies selon des critères neutres, qui exercent ensuite leur autorité d'une manière qui favorise la compétition ouverte à tous.
Lorsque les décisions de crédit, les marchés publics, les contrats de construction et la fixation des prix ne reflètent que des objectifs à court terme et purement politiques, la bonne performance économique devient impossible, même dans les pays dotés d'importantes ressources naturelles. Dans les pays qui ont peu ou pas de ressources naturelles (où l'innovation, la concurrence et un accent d'autant plus important est mis sur la production plutôt que les sur les rentes), le manque de bonne gouvernance mènera plus rapidement à l'échec.
Tout cela laisse entendre que l'analyse des déterminants de la réussite économique n'intéresse pas seulement les économistes. Pourquoi certaines sociétés parviennent à réaliser les compromis nécessaires au maintien d'un système judiciaire indépendant et à un cadre réglementaire moderne (tous deux nécessaires pour une économie moderne et efficace), tandis que d'autres perpétuent une approche partisane où le vainqueur rafle toute la mise, dans une gouvernance qui affaiblit la politique publique et érode la confiance du secteur privé ?
Le contraste est d'autant plus frappant dans les pays émergents, mais des différences existent également entre les économies avancées. Peut-être la capacité de l'Allemagne à parvenir à un compromis sociopolitique, démontré encore une fois par la formation d'une coalition droite-gauche après les élections de 2013, a été plus essentielle à sa réussite économique récente, que le détail des mesures budgétaires et structurelles conduites pour y parvenir.

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