domingo, 15 de septiembre de 2013


DIPLOMATIE ET DOUBLE LANGAGE


    Gareth Evans

CANBERRA – A partir de quel moment réalisme politique et prudence diplomatique se transforment-ils en un renoncement injustifiable aux valeurs morales ? Seuls quelques responsables de politique étrangère se posent cette question, et ils sont alors souvent confrontés à des choix inconfortables.

Négocier un accord de paix peut signifier accorder l'amnistie à des criminels. S'accommoder de la tyrannie peut parfois épargner davantage de vie qu'embrasser l'anarchie. Il arrive que stabiliser une situation volatile suppose de faire silence sur des comportements condamnables. Prendre la bonne décision est plus difficile dans le monde réel que palabrer dans une classe de philosophie.
Mais à trop s'affranchir des principes moraux, les conséquences peuvent être potentiellement dévastatrices. Le maintien au moins jusqu'à présent de l'aide militaire américaine à l'Egypte après le massacre par le régime de centaines de partisans des Frères musulmans dans les rues et dans les prisons en est un exemple récent.
Le bilan du gouvernement de l'ex-président Morsi est catastrophique - il s'est révélé fondamentalement idéologique, économiquement analphabète et constitutionnellement irresponsable. Il a profondément polarisé une société qui a besoin avant tout d'être rassemblée. Si l'armée avait conservé son sang froid et n'était pas intervenue, Morsi aurait probablement été balayé lors de la prochaine élection. Si les Frères musulmans avaient refusé qu'elles ne se tiennent ou par la suite n'avaient pas reconnu leur défaite, une action plus dure aurait alors pu être envisagée. Tel qu'il a été, le coup d'Etat de l'armée est indéfendable et le massacre de manifestants sans armes pour la plupart est comparable à celui de la place Tien An Men en 1989 et à ceux perpétrés par Kadhafi en Libye alors qu'il était au pouvoir et par Bachar al-Assad en Syrie.
Le maintien de leur aide militaire à hauteur de 1,3 milliards de dollars par an ne donne aux USA aucun moyen de pression sur l'Egypte. Ce fut peut-être le cas dans le passé, mais cette somme n'est pas grand chose par rapport aux 12 milliards de dollars d'aide économique d'urgence que l'Arabie saoudite, le Koweït et les Emirats arabes unis ont accordée récemment aux généraux. Il est vrai que le régime égyptien n'apprécierait pas la suppression de cette aide, et il en serait de même de la plupart des civils opposés aux Frères musulmans. Mais leur réaction serait moins lourde de conséquences quant à la crédibilité des USA au Moyen-Orient et dans le reste du monde, que le fait de maintenir cette aide.
Si les dirigeants politiques qui s'affranchissent de la loi comme on l'a vu en Egypte ne s'exposent qu'à des conséquences rhétoriques, le message tacite selon lequel un régime peut réprimer à sa guise s'il choisit la "bonne cible" résonnera à Bahreïn, au Yémen et en Arabie saoudite, pour ne pas mentionner la Syrie. Les USA risquent de renforcer l'impression qu'ils pratiquent le double langage. Pour un pays dont le leadership sur la scène internationale dépend autant de son rayonnement moral que de sa puissance militaire, c'est de la dynamite.
Or depuis quelques années, avec à l'appui de multiples exemples, presque partout on accuse les USA de ne pas se comporter conformément aux principes qu'ils affichent. Il y a d'abord eu l'invasion de l'Irak en 2003 : ils se réclament du Conseil de sécurité de l'ONU quand il va dans leur sens et le court-circuitent quand ce n'est pas le cas - une pratique qui ne favorise pas l'établissement d'un ordre international basé sur la coopération.
Il y a eu ensuite l'élection palestinienne de 2006 : pour les USA soutenir la démocratie frise le ridicule quand ce soutien se limite aux élections qui produisent les résultats qui leurs conviennent - ce qui n'a pas été le cas avec la victoire du Hamas à Gaza. Autre exemple au Moyen-Orient, depuis des années ils ferment les yeux sur l'armement nucléaire que possède Israël, une attitude à comparer avec leur position face au moindre soupçon d'un mouvement de l'Iran dans cette direction. Et n'oublions pas l'accord de 2008 avec l'Inde sur le commerce de matériel nucléaire, bien que ce pays refuse de s'engager sur la voie du désarmement ou de la non-prolifération.
Soyons équitables : les exemples de double langage abondent également chez les autres grandes puissances. A l'étonnement général, la Russie a invoqué la "responsabilité de protéger" pour justifier son invasion de la Géorgie en 2008, une invocation qui apparaît d'autant plus cynique que depuis 2011 elle refuse résolument de condamner le régime syrien pour les atrocités et les crimes de masse commis contre sa propre population.
Les ambitions stratégiques de la Chine en mer de Chine méridionale et sa réticence à adopter un code de conduite maritime dans cette zone paraissent contredire la préoccupation qu'elle affiche en faveur de frontières souveraines et de la résolution pacifique des conflits territoriaux. En réalité, le "Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais", est une attitude commune aux  pays détenteurs de l'arme nucléaire qui appellent tous à la non-prolifération tout en évitant de s'engager sérieusement en faveur du désarmement.
Partout dans le monde les responsables de la politique étrangère doivent souvent choisir entre des valeurs morales en concurrence - par exemple la paix ou la justice. Mais les accusations de pratiquer le "deux poids, deux mesures" sont souvent infondées, car il s'agit d'autre chose. Un bon exemple en est l'idée selon laquelle la "responsabilité de protéger" est un principe intrinsèquement erroné. Cette allégation repose sur le constat que les grandes puissances sont à l'abri d'une intervention du fait de leur puissance militaire et aussi parce que cinq d'entre elles détiennent le droit de veto au Conseil de sécurité.
Mais c'est ignorer que le principe de la non-intervention militaire est toujours légitime, si ce n'est à respecter entre autre critère, celui de diminuer - et non d'augmenter - la souffrance humaine. Or lancer une action militaire contre une grande puissance pour protéger une minorité déclencherait certainement une déflagration de grande ampleur.
Les valeurs morales ont leur importance dans les relations internationales, mais il est facile de taxer d'hypocrisie les Etats qui s'en réclament. Un pays qui veut obtenir le soutien ou la coopération d'autres nations n'y réussira pas s'il donne l'impression de pratiquer le double langage ou pire encore, de manquer de fermeté à l'égard de ceux qui, tel les militaires au pouvoir en Egypte, commettent des atrocités contre leur propre population.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

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